La Mémoire selon Magritte
Il a écrit ces mots à propos de ce tableau:
"...le tableau n’est pas l’illustration des idées suivantes : quand nous prononçons le mot mémoire, nous voyons qu’il correspond à l’image d’une tête humaine. Si la mémoire peut occuper une place dans l’espace, ce ne peut être qu’à l’intérieur de la tête. Ensuite, la tache de sang peut éveiller en nous la supposition que la personne dont nous voyons le visage a été victime d’un accident mortel. Enfin, il s’agit d’un événement du passé, qui reste présent dans notre esprit grâce à la mémoire"
Comme toujours, Magritte dit tout et rien.
J'ai rencontré ce tableau à une exposition à Munich, en 1987 (Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung, Munich).Je suis partie avec l'affiche qui représentait ce tableau, une des interprétations, puisque Magritte refaisait ceux-ci, les changeant d'un détail, parfois plus.
Elle ressemblait à cette version, il me semble qu'un oiseau était là, sur l'horizon, mais peut-être l'ai-je rêvé plus tard.
Je suis rentrée avec l'affiche et je l'ai fièrement mis sur la porte de ma chambre.
Je trouvais cette lithographie reposante.
A travers mes déménagements successifs en Europe, j'ai du ensuite m'en séparer.
Mais j'ai vu l'effet qu'elle suscitait très souvent: occultant tout l'ensemble, la chose que mes visiteurs voyaient était bien cette tache de sang, et renvoyant pour eux un côté angoissant et morbide, voire macabre. Une incompréhension se dégageait donc.
Loin de moi l'idée de juger. J'ai juste justifié mon attachement avec cet avis:" moi, elle me repose".
D'ailleurs, je n'ai jamais focalisé sur cette tache: Je me suis longtemps promenée dans ce tableau et mon imaginaire y retourne souvent.
Il y a d'abord une tête que j'ai toujours pris pour le tout: une femme, aux traits classiques, un élégant chignon gréco-romain, une attitude calme et simple, qui dégage dans son visage une étrange sérénité. Juste une tête, qui ne me semblait pas plus choquante que la Vénus de Milo.
Magritte s'est très souvent inspiré de ces sculptures, que le temps avait fractionné, et de l'admiration de ces civilisation en tant que fondement de notre culture.
Il y a toujours eu un jeu d'aliénation de ces statues dans son oeuvre, donc cette tête posée sur une fenêtre ne m'a jamais choqué.
Les détails m'ont toujours emmené dans un onirisme libérateur: cette boule, en forme de grelot, juste posée, qui ne roule pas, alors qu'elle n'a rien pour la retenir, incongrue pour moi, cette feuille, qui, elle se déplace dans les différents tableaux, parfois verte, parfois fanée: qui dit vent dit feuille, et l'immobile des objets parait étrange.
Il y a ensuite un horizon, flou, changeant, parfois mer, parfois nuage ou les deux, une lune ou non, une ouverture sur autre chose, autre part que ces rideaux lourds tirés, que cette encadrure géométrique. Sur une version de 1938, un mur est utilisé et une de 1945 montre une autre séparation blanche( voir plus haut)
Là, réapparait cette tache de sang.
La mémoire.
Il m'est souvent venu à l'esprit que nous sommes composés de notre passé, de nos expériences et de nos blessures, notre sérénité vient de notre capacité à laisser ces cicatrices faire mal, vivre en gardant nos meurtrissures et en les laissant façonner notre vie intérieure, nos rêves ou nos expressions viennent de ce paradoxe: il ne peut y avoir d'humanité sans mémoire et celle-ci ne peut être sans coupure, sans sang qui coule et nous laisse un goût de souffrance passée.
Notre sérenité vient de cela: accepter tout ce que nous sommes, sans en occulter une partie.
the ignorant fairy
Surréalisme:
« Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. »
André Breton
Et ensuite, qu'en faisons-nous?
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